Introduction
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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société française s'est
radicalement transformée : elle est entrée de plein pied dans la modernité,
a subi les répercussions des mutations économiques profondes qui ont révolutionné
la France, est partie en quête de nouvelles valeurs pour remplacer celles
qu'elle a délaissées… Urbanisation, élévation générale du niveau de vie,
mutation des rapports entre les différentes catégories socioprofessionnelles,
sont autant de défis que la société française a dû affronter dans ce demi-siècle.
Comment a-t-elle traversé ces bouleversements ? |
1 Les trois piliers du renouveau
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1.1 L'essor démographique
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C'est une des causes majeures du renouveau de la société française. La guerre
et l'occupation ont affaibli le potentiel démographique français : la
France a perdu 600 000 hommes pendant la guerre. La démographie a donc
été indirectement amputée d'un million d'âmes. 800 000 invalides attendent
d'être secourus.
Mais la politique nataliste esquissée avant 1939 est continuée à la Libération
par des mesures incitatives (allocations prénatales et de maternité, quotient
familial pour l'impôt direct). La famille est à l'honneur : la
natalité se redresse très vite (21, 4 pour mille en 1946) et se maintient
à 18-19 pour mille jusqu'au début des années 1960 : c'est le baby-boom,
on dépasse alors les 800 000 naissances par an. Parallèlement, la mortalité
baisse. Le progrès démographique est donc net : la population française
passe de 40, 5 millions et 1946 à 46, 4 millions en 1962 et 52 millions
en 1973, alors que le baby boom a cessé depuis 1964 et fait place au baby-flop
en 1974.
Pourtant, la France reste sous-peuplée et fait de nouveau appel à l'immigration
de travailleurs. L'Office National de l'Immigration est d'ailleurs fondé
en 1945. La politique d'immigration a pour résultat le triplement
des entrées (150 000 entrées de 1955 à 1960) et l'immigration est renforcée
par l'arrivée des 900 000 Algériens fuyant leur territoire et les massacres
(les Pieds-noirs).
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1.2 Le rôle de l'Etat
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Un deuxième facteur important dans les mutations de la société française depuis
1945 réside sans aucun doute dans le rôle grandissant de l'Etat et des
prestations sociales. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1990, pour
l'ensemble des ménages, les transferts sociaux représentent un tiers de
leur revenu disponible, mais également un tiers des prélèvements. L'Etat
français s'est fait de plus en plus à la fois gérant et garant.
Gérant à travers toute son intervention dans les mécanismes économiques
(l'Etat interventionniste) : ce sont les nationalisations de 1945
et de 1982, la planification avec le plan Monnet (1947-1952), la modernisation
agricole (Pisani, 1960), l'aménagement du territoire (1963). L'Etat garant
avec l'essor de la Protection Sociale (l'Etat Providence) : Sécurité
Sociale (créée en 1945, généralisée par Giscard D'Estaing), le soutien
aux plus défavorisés par la création du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel
Garanti) en 1950, les allocations familiales, les retraites, les congés
payés (3 semaines en 1956, 4 en 1969 et 5 en 1981). |
1.3 Les mutations économiques et techniques
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Elles ont naturellement considérablement accéléré les mutations de la société
française : la modernisation de l'appareil de production, la mécanisation,
la révolution de l'électronique, puis celle de l'informatique ont ainsi
bouleversé et remodelé les structures existantes. De même, l'essor économique
des "Trente Glorieuses " a permis la progression rapide du niveau de vie
et l'avènement de la société de consommation de masse. |
1.4 La nouvelle ouverture au monde
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Elle conditionne également les grandes mutations françaises (on peut ici
prendre à témoin les événements de mai 68 et le rôle déterminant qu'a
joué l'environnement international, véritable instrument de stimulation
des revendications des Français). Cette ouverture de nos frontières qui
s'est d'abord faite à cause d'enjeux économiques et politiques (OECE après
la guerre, CEE de 1957, le Kennedy round (1963-1967) et le Tokyo round
(1979)) va considérablement influencer les mutations culturelles car elle
met en rapport des cultures très différentes et tend vers la convergence
des comportements vers un même modèle. |
2 Les mutations liées à la croissance
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2.1 La redistribution des activités et la redistribution spatiale
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La nouvelle répartition spatiale de la population française résulte des profondes
mutations professionnelles.
La France, vieux pays rural, n'a presque plus de paysans au début des années
1970. Ils ne sont plus que 2 millions en 1975. D'ailleurs, les 1 100 000
exploitants que la France compte en 1975 présentent une très forte hétérogénéité
qui apparaît bien dans les inégalités de revenu (qui s'ont d'un rapport
de 1 à 10 selon les régions et le type d'exploitation). Malgré l'organisation
de la lutte paysanne avec des syndicats comme la FNSEA ou le MODEF et
les mesures gouvernementales, le malaise paysan est palpable.
En face, le monde urbain connaît un fort développement à la faveur de l'exode
rural. Il représente 53% des Français en 1956 et 73% en 1975. Au sein
de ce monde urbain, le secteur secondaire reste assez stable avec un très
légère augmentation (il passe de 33% de la population en 1953 à 37% en
1973). Le monde ouvrier se dissocie entre techniciens et ouvriers qualifiés
dont le genre de vie se rapproche de celui des classes moyennes, alors
qu'OS et manœuvres ont des revenus bas et de faibles qualifications. Les
syndicats traditionnels ont donc bien du mal à fédérer cette classe ouvrière
protéiforme.
Le fait le plus marquant reste la percée du tertiaire : 35, 4% des actifs
en 1954 ; 51, 4% en 1975. Les employés sont 17, 7% des actifs en 1975.
Ils ont beaucoup de points communs avec les ouvriers, mais sont plus satisfaits
de leur condition (statut social, plus de sécurité et d'espoir de promotion
sociale). Les cadres moyens ont doublé leur importance de 1954 à 1975
(12, 7%) ; ils ne sont toujours pas satisfaits des responsabilités limitées
qui leur sont accordées et à ce titre se sont sentis solidaires de la
manifestation étudiante de 1968. Les cadres supérieurs et professions
libérales (6, 5% en 1975) ont aussi doublé. Mieux éduqués, une minorité
s'en dégage et forme le classe dirigeante.
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2.2 L'amélioration des niveaux de vie
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Au sein de cette société en pleine refonte et cherchant un nouvel équilibre,
des tendances générales se dégagent. Le niveau de vie général s'améliore
de façon considérable (le revenu moyen des Français est multiplié par
quatre pendant les "Trente Glorieuses"). Les Français accèdent à la Société
de Consommation : confort électroménager, automobile, propriété du logement
se généralisent. Les dépenses de biens de consommation durables, liées
à l'hygiène et la santé, aux loisirs augmentent aux dépens de l'alimentation
et de l'habillement.
Les genres de vie s'homogénéisent grâce au tiercé, à la télévision, au supermarché.
Les valeurs traditionnelles sont remises en cause : la pratique religieuse
recule alors que la libération des mœurs s'opère (contraception autorisée
en 1967, légalisation de l'avortement en 1975). La conscience de classe
décline et le calme social règne de 1948 à 1968. Le travail féminin se
généralise de façon irréversible : plus d'une femme sur trois est active
dès 1962 et 34, 8% des actifs sont des femmes en 1968. Mais les femmes
sont professionnellement défavorisées, ce qui nous amène naturellement
à nous poser la question des exclus de la prospérité.
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2.3 Les laissés pour compte de la croissance
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Cependant, la croissance fait des laissés pour compte. Dans un premier temps,
les classes moyennes indépendantes qui n'ont pas pris le chemin de la
modernisation faute de ressources disponibles pour réaliser les investissements
nécessaires : ce sont des artisans, les dirigeants de petites exploitations
agricoles ou de PME. Ils souffrent de l'inadaptation de leur méthodes
de commercialisation ou de production. Le mouvement poujadiste exprime
le dépit de ces couches moyennes durement touchées par la fin d'une inflation
qui leur servait et frappés dans le même temps par une réorganisation
de la fiscalité. Ceux dont le sort est encore moins enviable sont les
travailleurs étrangers, les chômeurs (ils sont 600 000 en 1974), les smigards,
les personnes âgées. Les différences s'aggravent selon les régions et
elles vont encore s'aggraver avec l'arrivée de la Crise. |
3 Les nouveaux enjeux de la crise
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La crise qui s'ouvre en 1973 va encore accroître les inégalités de la société
française et accélérer ses divisions : inégalités entre riches et pauvres
bien sûr, mais aussi entre hommes et femmes, entre travailleurs et chômeurs,
entre jeunes et vieux… Les clivages et l'individualisme se renforcent
alors que la France se doit de faire face à de nouveaux enjeux. |
3.1 Une évolution démographique problématique
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La crise fait chuter brutalement la natalité qui de 874 000 naissances en
1973 passe à 720 000 naissances en 1976. Malgré les efforts de redressement
de l'Etat (qui relance la politique familiale en 1980-1981), la population
française vieillit et les déséquilibres apparaissent. Ainsi, le vieillissement
de la population (papy-boom) compromet l'équilibre de la Sécurité Sociale
et la réduction du temps de travail. Alors qu'en 1965, on comptait 3,
5 actifs pour un retraité, le ratio devient de 2, 15 pour un en 1990,
et si les tendances démographiques actuelles se confirment, le ratio devrait
être de 1, 9 d'ici 2010, date à laquelle coïncident l'arrivée à la retraite
des baby-boomers et la décroissance de la population active liée à la
baisse de la natalité depuis 1965. Le fameux "contrat entre les générations"
risque donc d'être rompu. |
3.2 Les modifications de la structure familiale
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Deuxième enjeu d'importance après la question des retraites, celle de la refonte
de la politique familiale. En effet, outre la baisse de la natalité, d'autres
modifications ont profondément affecté la structure familiale :
- Le recul du nombre de mariages (416 000 en 1972, 265 000 en 1992)
- L'augmentation considérable du nombre de divorces : "l'indice de divortialité"
atteint 33% en 1990.
- L'essor du concubinage : les couples non mariés représentent environ
10% du total des couples en 1992 alors qu'une naissance sur trois se
fait hors du mariage
- L'augmentation du nombre de familles monoparentales : elles sont environ
un million en 1990.
L'ensemble de ces mutations de la structure familiale pose naturellement
l'enjeu d'une réorganisation de la politique familiale pour répondre à
ces évolutions. De plus, ces mutations appellent également un changement
de mentalités au sein de la famille elle-même. Etant donnée la proportion
qu'a désormais pris l'activité féminine, une réorganisation des tâches
est nécessaire au sein de la cellule familiale, réorganisation qui semble
actuellement bien loin d'être mise en place : ainsi, le temps que l'homme
consacre aux travaux domestiques ne varie pratiquement pas avec le nombre
d'enfants et n'a quasiment pas augmenté au cours des 25 dernières années.
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3.3 Le problème de l'emploi
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Mais l'enjeu premier que pose la crise, c'est surtout celui de l'emploi. 700
000 en 1974, les chômeurs passent 2, 5 millions en 1984 et le cap des
3 millions de chômeurs est franchi dans les années 1990. Récession générale
de l'activité, absence de qualification ou formation professionnelle inadaptée
au marché du travail, telles sont les racines du mal. Ce mal touche surtout
les couches les plus fragiles de la société : jeunes, immigrés, femmes,
ouvriers en sont les victimes hétérogènes.
Ce chômage développe une frange de la société en panne d'insertion et où se
recrutent les "nouveaux pauvres" alors que parallèlement, l'inégalité
de répartition des revenus et du patrimoine augmentent. La société française
menace de se scinder en deux.
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3.4 L'accroissement des inégalités régionales
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De la même façon qu'il touche les couches de la société française de manière
inégale, le chômage affecte les régions françaises avec la même inégalité.
Certaines régions sont littéralement sinistrées. Ce sont les régions où
le déclin du secteur secondaire fait des ravages. Les grands bassins sidérurgiques
comme les pôles de l'activité textile ou minière n'arrivent pas à se reconvertir
(Nord - Pas de Calais, Lorraine, Bassin de la Loire). De même, des régions
agricoles entières sont à l'abandon (la moyenne montagne française notamment). |
Conclusion
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Face à ces inégalités grandissantes et à l'exclusion d'une partie de ses
membres, la société française a bien du mal à conserver sa cohésion. Son
premier mouvement est un mouvement de repli sur soi, conforme à ses valeurs
individualistes. Pourtant, ses valeurs égalitaires tout autant ancrées,
et l'apparition de consensus, comme celui sur la construction européenne
par exemple devraient permettre à la société française de retrouver son
unité, d'autant plus que la reprise amorcée de la fin des années 90 devrait
faciliter cette nouvelle mutation. |