Les mutations de la société française depuis 1945
Introduction
1 Les trois piliers du renouveau
   1.1 L'essor démographique
   1.2 Le rôle de l'Etat
   1.3 Les mutations économiques et techniques
   1.4 La nouvelle ouverture au monde
2 Les mutations liées à la croissance
   2.1 La redistribution des activités et la redistribution spatiale
   2.2 L'amélioration des niveaux de vie
   2.3 Les laissés pour compte de la croissance
3 Les nouveaux enjeux de la crise
   3.1 Une évolution démographique problématique
   3.2 Les modifications de la structure familiale
   3.3 Le problème de l'emploi
   3.4 L'accroissement des inégalités régionales
Conclusion

 

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Introduction

 

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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la société française s'est radicalement transformée : elle est entrée de plein pied dans la modernité, a subi les répercussions des mutations économiques profondes qui ont révolutionné la France, est partie en quête de nouvelles valeurs pour remplacer celles qu'elle a délaissées… Urbanisation, élévation générale du niveau de vie, mutation des rapports entre les différentes catégories socioprofessionnelles, sont autant de défis que la société française a dû affronter dans ce demi-siècle. Comment a-t-elle traversé ces bouleversements ?

1 Les trois piliers du renouveau

 

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1.1 L'essor démographique

 

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C'est une des causes majeures du renouveau de la société française. La guerre et l'occupation ont affaibli le potentiel démographique français : la France a perdu 600 000 hommes pendant la guerre. La démographie a donc été indirectement amputée d'un million d'âmes. 800 000 invalides attendent d'être secourus.

Mais la politique nataliste esquissée avant 1939 est continuée à la Libération par des mesures incitatives (allocations prénatales et de maternité, quotient familial pour l'impôt direct). La famille est à l'honneur : la natalité se redresse très vite (21, 4 pour mille en 1946) et se maintient à 18-19 pour mille jusqu'au début des années 1960 : c'est le baby-boom, on dépasse alors les 800 000 naissances par an. Parallèlement, la mortalité baisse. Le progrès démographique est donc net : la population française passe de 40, 5 millions et 1946 à 46, 4 millions en 1962 et 52 millions en 1973, alors que le baby boom a cessé depuis 1964 et fait place au baby-flop en 1974.

Pourtant, la France reste sous-peuplée et fait de nouveau appel à l'immigration de travailleurs. L'Office National de l'Immigration est d'ailleurs fondé en 1945. La politique d'immigration a pour résultat le triplement des entrées (150 000 entrées de 1955 à 1960) et l'immigration est renforcée par l'arrivée des 900 000 Algériens fuyant leur territoire et les massacres (les Pieds-noirs).


1.2 Le rôle de l'Etat

 

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Un deuxième facteur important dans les mutations de la société française depuis 1945 réside sans aucun doute dans le rôle grandissant de l'Etat et des prestations sociales. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1990, pour l'ensemble des ménages, les transferts sociaux représentent un tiers de leur revenu disponible, mais également un tiers des prélèvements. L'Etat français s'est fait de plus en plus à la fois gérant et garant. Gérant à travers toute son intervention dans les mécanismes économiques (l'Etat interventionniste) : ce sont les nationalisations de 1945 et de 1982, la planification avec le plan Monnet (1947-1952), la modernisation agricole (Pisani, 1960), l'aménagement du territoire (1963). L'Etat garant avec l'essor de la Protection Sociale (l'Etat Providence) : Sécurité Sociale (créée en 1945, généralisée par Giscard D'Estaing), le soutien aux plus défavorisés par la création du SMIG (Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti) en 1950, les allocations familiales, les retraites, les congés payés (3 semaines en 1956, 4 en 1969 et 5 en 1981).

1.3 Les mutations économiques et techniques

 

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Elles ont naturellement considérablement accéléré les mutations de la société française : la modernisation de l'appareil de production, la mécanisation, la révolution de l'électronique, puis celle de l'informatique ont ainsi bouleversé et remodelé les structures existantes. De même, l'essor économique des "Trente Glorieuses " a permis la progression rapide du niveau de vie et l'avènement de la société de consommation de masse.

1.4 La nouvelle ouverture au monde

 

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Elle conditionne également les grandes mutations françaises (on peut ici prendre à témoin les événements de mai 68 et le rôle déterminant qu'a joué l'environnement international, véritable instrument de stimulation des revendications des Français). Cette ouverture de nos frontières qui s'est d'abord faite à cause d'enjeux économiques et politiques (OECE après la guerre, CEE de 1957, le Kennedy round (1963-1967) et le Tokyo round (1979)) va considérablement influencer les mutations culturelles car elle met en rapport des cultures très différentes et tend vers la convergence des comportements vers un même modèle.

2 Les mutations liées à la croissance

 

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2.1 La redistribution des activités et la redistribution spatiale

 

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La nouvelle répartition spatiale de la population française résulte des profondes mutations professionnelles.

La France, vieux pays rural, n'a presque plus de paysans au début des années 1970. Ils ne sont plus que 2 millions en 1975. D'ailleurs, les 1 100 000 exploitants que la France compte en 1975 présentent une très forte hétérogénéité qui apparaît bien dans les inégalités de revenu (qui s'ont d'un rapport de 1 à 10 selon les régions et le type d'exploitation). Malgré l'organisation de la lutte paysanne avec des syndicats comme la FNSEA ou le MODEF et les mesures gouvernementales, le malaise paysan est palpable.

En face, le monde urbain connaît un fort développement à la faveur de l'exode rural. Il représente 53% des Français en 1956 et 73% en 1975. Au sein de ce monde urbain, le secteur secondaire reste assez stable avec un très légère augmentation (il passe de 33% de la population en 1953 à 37% en 1973). Le monde ouvrier se dissocie entre techniciens et ouvriers qualifiés dont le genre de vie se rapproche de celui des classes moyennes, alors qu'OS et manœuvres ont des revenus bas et de faibles qualifications. Les syndicats traditionnels ont donc bien du mal à fédérer cette classe ouvrière protéiforme.

Le fait le plus marquant reste la percée du tertiaire : 35, 4% des actifs en 1954 ; 51, 4% en 1975. Les employés sont 17, 7% des actifs en 1975. Ils ont beaucoup de points communs avec les ouvriers, mais sont plus satisfaits de leur condition (statut social, plus de sécurité et d'espoir de promotion sociale). Les cadres moyens ont doublé leur importance de 1954 à 1975 (12, 7%) ; ils ne sont toujours pas satisfaits des responsabilités limitées qui leur sont accordées et à ce titre se sont sentis solidaires de la manifestation étudiante de 1968. Les cadres supérieurs et professions libérales (6, 5% en 1975) ont aussi doublé. Mieux éduqués, une minorité s'en dégage et forme le classe dirigeante.


2.2 L'amélioration des niveaux de vie

 

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Au sein de cette société en pleine refonte et cherchant un nouvel équilibre, des tendances générales se dégagent. Le niveau de vie général s'améliore de façon considérable (le revenu moyen des Français est multiplié par quatre pendant les "Trente Glorieuses"). Les Français accèdent à la Société de Consommation : confort électroménager, automobile, propriété du logement se généralisent. Les dépenses de biens de consommation durables, liées à l'hygiène et la santé, aux loisirs augmentent aux dépens de l'alimentation et de l'habillement.

Les genres de vie s'homogénéisent grâce au tiercé, à la télévision, au supermarché. Les valeurs traditionnelles sont remises en cause : la pratique religieuse recule alors que la libération des mœurs s'opère (contraception autorisée en 1967, légalisation de l'avortement en 1975). La conscience de classe décline et le calme social règne de 1948 à 1968. Le travail féminin se généralise de façon irréversible : plus d'une femme sur trois est active dès 1962 et 34, 8% des actifs sont des femmes en 1968. Mais les femmes sont professionnellement défavorisées, ce qui nous amène naturellement à nous poser la question des exclus de la prospérité.


2.3 Les laissés pour compte de la croissance

 

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Cependant, la croissance fait des laissés pour compte. Dans un premier temps, les classes moyennes indépendantes qui n'ont pas pris le chemin de la modernisation faute de ressources disponibles pour réaliser les investissements nécessaires : ce sont des artisans, les dirigeants de petites exploitations agricoles ou de PME. Ils souffrent de l'inadaptation de leur méthodes de commercialisation ou de production. Le mouvement poujadiste exprime le dépit de ces couches moyennes durement touchées par la fin d'une inflation qui leur servait et frappés dans le même temps par une réorganisation de la fiscalité. Ceux dont le sort est encore moins enviable sont les travailleurs étrangers, les chômeurs (ils sont 600 000 en 1974), les smigards, les personnes âgées. Les différences s'aggravent selon les régions et elles vont encore s'aggraver avec l'arrivée de la Crise.

3 Les nouveaux enjeux de la crise

 

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La crise qui s'ouvre en 1973 va encore accroître les inégalités de la société française et accélérer ses divisions : inégalités entre riches et pauvres bien sûr, mais aussi entre hommes et femmes, entre travailleurs et chômeurs, entre jeunes et vieux… Les clivages et l'individualisme se renforcent alors que la France se doit de faire face à de nouveaux enjeux.

3.1 Une évolution démographique problématique

 

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La crise fait chuter brutalement la natalité qui de 874 000 naissances en 1973 passe à 720 000 naissances en 1976. Malgré les efforts de redressement de l'Etat (qui relance la politique familiale en 1980-1981), la population française vieillit et les déséquilibres apparaissent. Ainsi, le vieillissement de la population (papy-boom) compromet l'équilibre de la Sécurité Sociale et la réduction du temps de travail. Alors qu'en 1965, on comptait 3, 5 actifs pour un retraité, le ratio devient de 2, 15 pour un en 1990, et si les tendances démographiques actuelles se confirment, le ratio devrait être de 1, 9 d'ici 2010, date à laquelle coïncident l'arrivée à la retraite des baby-boomers et la décroissance de la population active liée à la baisse de la natalité depuis 1965. Le fameux "contrat entre les générations" risque donc d'être rompu.

3.2 Les modifications de la structure familiale

 

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Deuxième enjeu d'importance après la question des retraites, celle de la refonte de la politique familiale. En effet, outre la baisse de la natalité, d'autres modifications ont profondément affecté la structure familiale :

  • Le recul du nombre de mariages (416 000 en 1972, 265 000 en 1992)
  • L'augmentation considérable du nombre de divorces : "l'indice de divortialité" atteint 33% en 1990.
  • L'essor du concubinage : les couples non mariés représentent environ 10% du total des couples en 1992 alors qu'une naissance sur trois se fait hors du mariage
  • L'augmentation du nombre de familles monoparentales : elles sont environ un million en 1990.

L'ensemble de ces mutations de la structure familiale pose naturellement l'enjeu d'une réorganisation de la politique familiale pour répondre à ces évolutions. De plus, ces mutations appellent également un changement de mentalités au sein de la famille elle-même. Etant donnée la proportion qu'a désormais pris l'activité féminine, une réorganisation des tâches est nécessaire au sein de la cellule familiale, réorganisation qui semble actuellement bien loin d'être mise en place : ainsi, le temps que l'homme consacre aux travaux domestiques ne varie pratiquement pas avec le nombre d'enfants et n'a quasiment pas augmenté au cours des 25 dernières années.


3.3 Le problème de l'emploi

 

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Mais l'enjeu premier que pose la crise, c'est surtout celui de l'emploi. 700 000 en 1974, les chômeurs passent 2, 5 millions en 1984 et le cap des 3 millions de chômeurs est franchi dans les années 1990. Récession générale de l'activité, absence de qualification ou formation professionnelle inadaptée au marché du travail, telles sont les racines du mal. Ce mal touche surtout les couches les plus fragiles de la société : jeunes, immigrés, femmes, ouvriers en sont les victimes hétérogènes.

Ce chômage développe une frange de la société en panne d'insertion et où se recrutent les "nouveaux pauvres" alors que parallèlement, l'inégalité de répartition des revenus et du patrimoine augmentent. La société française menace de se scinder en deux.


3.4 L'accroissement des inégalités régionales

 

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De la même façon qu'il touche les couches de la société française de manière inégale, le chômage affecte les régions françaises avec la même inégalité. Certaines régions sont littéralement sinistrées. Ce sont les régions où le déclin du secteur secondaire fait des ravages. Les grands bassins sidérurgiques comme les pôles de l'activité textile ou minière n'arrivent pas à se reconvertir (Nord - Pas de Calais, Lorraine, Bassin de la Loire). De même, des régions agricoles entières sont à l'abandon (la moyenne montagne française notamment).

Conclusion

 

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Face à ces inégalités grandissantes et à l'exclusion d'une partie de ses membres, la société française a bien du mal à conserver sa cohésion. Son premier mouvement est un mouvement de repli sur soi, conforme à ses valeurs individualistes. Pourtant, ses valeurs égalitaires tout autant ancrées, et l'apparition de consensus, comme celui sur la construction européenne par exemple devraient permettre à la société française de retrouver son unité, d'autant plus que la reprise amorcée de la fin des années 90 devrait faciliter cette nouvelle mutation.